Présentation
La mère dans nos sociétés est sacrée, intouchable. Dès lors se plaindre de sa mère devient sacrilège. Certaine femmes vivent une relation de souffrance avec leur mère. Cette souffrance est aussitôt jugée suspecte. Elle passe plus pour un signe de déséquilibre que pour une preuve de lucidité.
On ne peut pas croire qu'une mère fasse du mal. Une mère a toujours raison y compris quand elle reproche à sa fille de lui avoir volé sa beauté, sa jeunesse. Y compris quand elle refuse de jouer le rôle d'une maman.
Quand on n'a pas vraiment le sentiment d'avoir eu une mère, tout ce qui rappelle que les autres en ont une devient douloureux. La fête des mères à l'école, les cartes postales qui n'arrivent pas au camp de vacances quand les autres filles reçoivent des colis bourrés de friandises, les vêtements démodés offerts par les amies d'amies de maman parce que celle ci n'a pas le goût de gâter sa fille. Et toutes ces critiques, ces petites phrases assassines.
Ces filles devenues adultes témoignent qu'elles ne se sont jamais senties reconnues, ni entendues. Certaines le formulent mais d'autres n'osent pas se plaindre. Elles ne veulent pas accabler cette mère, cette héroïne que, souvent, elles idéalisent et protègent. Forcément, on ne pense pas à critiquer les mères qu'on aime. On les accepte en bloc.
La fatigue des mères pèse lourd sur les filles qui se sentent responsables de donner du travail, de causer du souci, d'être une gêne et de faire le malheur ou la maladie de leur mère. Certaines filles naissent coupables. Coupables d'être nées et d'avoir fait souffrir leur mère en venant au monde.
Devenues adultes le manque d'amour de leur mère les a insécurisées, ces femmes vivent dans le doute, il leur manque quelque chose de fondamental. La confiance en soi est minime, l'amour est un sentiment trouble et l'amitié pour d'autres femmes peu développée. Elles n'ont pas de repères. L'impact de cette relation première s'étend à de nombreuses liaisons, situations: peur de mal faire, peur de mal dire, peur d'être soi-même, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être aimable, peur diffuse qui empêche de prendre la parole et peur de vivre tout simplement.
Avouer de mauvais sentiments, laisser paraître la haine, la colère, la déception, risquerait de provoquer encore plus de rejet, encore plus de sarcasmes, encore plus d'abandon. Impossible d'être soi avec une mère difficile. Ce serait trop dangereux, il faut plier et tricher.
Il faut parfois des années pour identifier son mal et l'appeler mal de mère.
